Les Éditions du Sablier ont été fondées à Québec en 2003, par Dominic Deschênes et Fabienne Roitel. Après avoir assuré la publication de la revue Le Bilboquet jusqu’en 2007, elles ont concentré leurs activités autour de l’édition de recueils de poésie et se proposent de publier des auteurs de styles variés, qu’ils soient émergents ou confirmés. Des artistes complices accompagnent la création des ouvrages depuis les débuts de la maison d’édition.
mardi 10 mars 2015
mercredi 11 février 2015
Sanda VOÏCA, passeuse de mots (textes, collages)

« Écrire ou dormir
Même fuite
Même désertion
Éloigner le monde
Se désencombrer des heures perdues » - Sanda Voïca
Les mots et les œuvres plastiques de Sanda Voïca ne laissent pas indifférents. Il y a à la fois un mal-être, un besoin de solitude qui s’incarne dans les collages suspendus entre ciel et terre, rêve et réalité, naissance et mort. Nous pouvons être lecteur ou « regardeur », comme elle le dit si bien, et nous sentir remuer par cette approche du monde. Mystère, expression d’une souffrance en équilibre ou désertion préméditée ? L’auteure crée des atmosphères poétiques dans lesquelles nous sommes invités à parcourir le monde ou à nous en éloigner.
Notons que Sanda Voïca et son collègue Samuel Dudouit se consacrent avec grand professionnalisme et générosité à l’édition d’une très belle revue virtuelle : Paysages écrits.
Fabienne Roitel
Sanda Voïca : sur son blog, « Le livre des proverbes nouveaux » ; dans la rubrique « Présence ailleurs », des détails sur sa présence littéraire. Initiatrice et rédactrice-en-chef de la revue Paysages écrits : https://sites.google.com/site/revuepaysagesecrits/
vendredi 2 janvier 2015
Nos étrennes pour 2015 : un inédit de Jonathan Gaudet
Matin
Jonathan Gaudet
Le
moteur de la scierie toussote derrière le petit boisé. La lueur des lampes à
l’huile perce l’opacité des carreaux. On s’agite dans les baraques. Une lumière
diffuse filtre à travers les branches nues des cyprès. Le brouillard dissimule
la base des grands arbres. Le sol est moite, l’air frais. Début du printemps.
La route crevassée par les pluies d’hiver fait un coude à l’orée du bois. La
plantation se secoue de sa torpeur. Le néant cède sa place au divin.
Le garçon saisit la guitare par la ficelle
et l’accroche à son épaule. Ses pieds nus font craquer les planches. Derrière
lui, une femme ouvre les yeux, mais ne dit rien. La porte couine sur ses gonds
rouillés. Béante. Le garçon saute. Au loin, la rumeur de la scie l’appelle au
travail. La roue dentelée mord le tronc et arrache les copeaux. Le garçon
crache dans la poussière. Aujourd’hui, il ne se salira pas les mains au contact
de l’écorce.
La route contourne la plantation et
disparaît dans la forêt. Au-delà, le territoire se divise en longs rectangles
effilés : cannes à sucre, maïs, coton. Les bras y chantent, les pieds s’y crèvent.
Une rivière flanquée de deux levées divise le comté en deux. Sous-sol gorgé
d’eau et surface sèche. Le chemin de fer sillonne le reste. Distance et
rentabilité. Délais de livraison et balles de cent kilos. Le train hurle aux
deux jours. On construit des fortunes. Sur l’horizon, les pignons se regroupent
autour des citernes. Pour chaque propriétaire, on compte une centaine de
nègres.
Le garçon s’arrête à la courbe. À
droite, le moulin à scie, à gauche, le champ de coton. Il ajuste sa guitare et
regarde par terre. Sol ouvert. Il lève les yeux. Il prends l’envers du soleil,
se dirige vers son contraire. La plantation disparaît derrière les cyprès. Dans
son dos, le sifflement d’un contremaître rappelle l’urgence de la routine. Le
soleil émerge des contours de la forêt, plus loin vers l’Est. Le garçon quitte
la route. Ses pieds sentent la fraîcheur de l’herbe.
Il traverse le champ sans se soucier
du coton qui tarde. Les nuages se ramassent comme des moutons. L’allée
rectiligne annonce le chemin. Encore loin devant, l’arbre solitaire sort
lentement de terre. Le garçon hâte le pas. Les branches rayent le flanc de la
guitare. Bois sur bois. Une corde grince, les pieds marquent le rythme. Chant
de travail. Inutiles au labeur, les aveugles jouent pour les travailleurs les
jours de cueillette. Près de la barrière, à l’orée du bois. Et qu’ils chantent
haut, le champ est long. Yeux ouverts, le garçon réduit la distance. Derrière
lui, les chiens aboient.
Sous l’arbre, une silhouette. Elle
est là qui l’attend. Le garçon s’immobilise. Entre eux, un jet de pierre. La
femme tourne la tête, de profile. Sa peau blanche est un effrayant mystère. Quelques
mètres. Trop pour retenir sa respiration. Le garçon hésite, faux mouvement. La
guitare appelle. La femme se retourne. Le voit. Un homme l’accompagne, barbe,
bretelles et chapeau rond. Il se précipite, signe d’urgence.
- Vite !
Tête de monture. Derrière l’arbre,
c’est tout un équipage qui pioche des sabots. Le garçon se rue. Les chiens
reniflent dans les allées. L’homme le fait monter à côté de la femme. Le
chariot se met en mouvement. La trace du fugitif est masquée par le sentier du
parfum. La femme dit :
- Tu es libre.
Et l’équipage
disparaît dans les nuages.
Jonathan
Gaudet habite à Prague, en
République Tchèque. Il a vécu au Québec, en France, en Argentine et aux
États-Unis. Il partage son temps entre l’écriture, le dessin, l’enseignement et
la musique.
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