Babel de la misère
J’ai toujours été passionnée par l’histoire de la tour de Babel (hébreu : מגדל בבל ; Migdal Babel ; en arabe : برج بابل, Burj Babil) un épisode biblique rapporté dans le Livre de la Genèse Gn 11-1-9, peu après l'épisode du Déluge. Les maquettes, les mosaïques, les dessins et les peintures comme celle de Pieter Brueghel l’Ancien au XVIe siècle (La Tour de Babel, 1563) me faisaient rêver. Toutes les interprétations m’intéressaient qu’elles soient allégoriques, scientifiques, spirituelles, bibliques, fantastiques…
Les récits féconds de constructions qui atteindraient le ciel ont depuis toujours inspiré les artistes. Une réflexion sur les fonctions de la langue, le pouvoir de mots et le rêve de forger une unité perdue ou le cauchemar d’en imposer une sont toujours d’actualité.
Babel pour ma compréhension de citoyenne (femme d’une cité) et d'autodidacte serait d’être polyglotte, mathématicienne, musicienne et… honnête politicienne !
À chaque fois que j’observe à la télé la photo des chefs d’États réunis une fois de plus pour des sommets de l’immobilisme, je réalise d’abord que peu de femmes sont représentées et ensuite que les résultats concrets ne sont jamais au rendez-vous. Les politiques inefficaces, les analyses et les rapports tablettés, les promesses jetées aux oubliettes, les tables rondes inutiles, les mensonges et les hypocrisies des gouvernements se foutent bien de notre santé, de notre éducation et de notre environnement.
Les COP21, 22, 23 comme des échecs successifs renouvelés. Pas un « pilote » compétent pour conduire l’arche de la planète à la dérive.
Babel des maladies, Babel de la faim, Babel des guerres, Babel des crimes religieux, Babel des eaux (bénites, insuffisantes, polluées, bitumées…) Babel des catastrophes sur écran télévisé avec journaliste souriant qui passe d’un déplacement d’humains, d’un naufrage, d’un feu ravageur à la recherche infructueuse de 3, 4 personnes imprudentes dans un sous-marin ou les jeux asiatiques d’hiver en Arabie saoudite !
Babel de la misère.
C’est encore le peintre flamand de la Renaissance Pieter Brueghel l’Ancien qui me fait réfléchir sur Babel avec un autre magnifique tableau, Le Repas de noce (1567 ou 1568) ou La Noce paysanne.
Une scène naturaliste, une fête de partage à la campagne, un mariage mais où est le marié ? Abondance, le pain et le vin, la cuillère et le chien, les coiffes blanches… La mariée avec sa couronne et le chien lui aussi heureux.
On croirait que les famines ne sont plus qu’un souvenir enfoui dans les temps médiévaux. On dirait que les ventres creux, la bouche pleine de terre et de vers. On dirait..
Babel de la misère.
Faim
Arthur Rimbaud
Si j’ai du goût, ce n’est guère
Que pour la terre et les pierres.
Je déjeune toujours d’air,
De roc, de charbons, de fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu’on brise,
Les vieilles pierres d’églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises.
Un festin de larmes, de peur, de désolation et un festin de sécheresse, de déréliction, de déshérité. Non point des figurants mais des habitants de la terre criant famine à travers notre planète. Il y a les fils de femmes, d’enfants et d’hommes qui tendent leur chaudron pour un peu de riz et d’eau et il y a aussi des femmes, des hommes qui vont au comptoir alimentaire, au secours populaire…
La faim découle principalement des conflits, des inégalités et des dérèglements climatiques, tous trois sont étroitement liés. Mais ici dans « le plus meilleur pays du monde » la faim c’est quoi exactement ?
Babel de la misère.
C’est des études longues et infructueuses sur un tunnel qui n’aboutissent à rien
C’est des kilomètres de routes réparées pour des moteurs qui polluent
C’est trop peu d’argent pour construire des petits chez soi à ceux qui en ont besoin
C’est construire des maisons de retraite à un coût exorbitant alors qu’on manque de personnel
C’est faire de la politique pour être élu pas pour mener à terme un idéal de société meilleure, plus équitable et plus intègre
C’est écouter les fonctionnaires fédéraux nous raconter des bobards, l'un de pipeline écologique, l'autre de politique étrange plus qu'étrangère
C’est accumuler des dettes sans projet de société
C’est risible, désolant et révoltant.
Mais au-delà des statères, de l’argent et du veau d’or, se pourrait-il qu’on puisse espérer une vie satisfaisante pour tous ? Devons-nous regarder certains discourir, décider de l’enrichissement de quelques uns pour qui Babel est un objectif, pour qui le profit est un chemin justifié et indiscutable ?
Au cœur des villes de la Terre, entre le début du 20e et le début du 21e siècle ap. J.-C., se dressèrent dans toute leur majesté des monuments dédiés au dieu principal des villes, consummatio, et accolés au temple où résidait sa statue de culte, incrementum.
En ces temps-là Babel n’était plus qu’un mythe sur google et la planète Terre une tour à étages entre enfer et paradis. FR
Les chansons de Richard Desjardins (Charcoal), Pierre Flynn (La Maudite machine) et les CowBoys fringants, L'Amérique qui pleure m’ont accompagnée.